Le silence numérique dans la cour d’école
Le téléphone cellulaire, cet appendice quasi permanent de nos vies modernes, pourrait bientôt disparaître des cours d’écoles primaires et secondaires du Québec. Suite au dépôt d’un rapport intérimaire très attendu de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes, le gouvernement provincial est fortement incité à interdire l’usage des appareils mobiles personnels dans l’enceinte scolaire, et ce, dès la rentrée 2025-2026. Déjà bannis des salles de classe depuis janvier 2024, les cellulaires pourraient donc être complètement mis au ban jusqu’à la fin des cours. Cette recommandation choc relance un débat de société majeur à Montréal et ailleurs : quelle place pour les écrans dans l’éducation et le développement de nos jeunes ?
La Commission sonne l’alarme : Déconnexion pour mieux apprendre et socialiser
La recommandation de la Commission spéciale, présidée par le député Pascal Bérubé, est sans équivoque : une interdiction claire et uniforme des cellulaires, écouteurs et autres appareils mobiles personnels dans toutes les écoles, y compris sur le terrain, pendant les heures de classe. Les seules exceptions concerneraient un usage pédagogique encadré par l’enseignant, des raisons médicales ou les besoins spécifiques d’élèves handicapés ou en difficulté.
Pourquoi une mesure aussi radicale ? La Commission s’appuie sur les nombreuses consultations et études qui pointent les effets néfastes d’une exposition excessive et d’un usage non encadré des écrans sur les jeunes : difficultés de concentration, baisse des résultats scolaires, impacts sur la santé mentale (anxiété, comparaison sociale), cyberintimidation, et diminution des interactions sociales directes. Le rapport intérimaire souligne que l’interdiction déjà en vigueur dans les classes, bien que positive, n’est pas suffisante, car l’usage persiste dans les corridors, les cafétérias et les cours de récréation. L’objectif est de créer un environnement scolaire plus propice à l’apprentissage, à la concentration et aux interactions sociales réelles, jugées essentielles au développement des jeunes.
Un consensus politique, des réactions partagées
La proposition semble faire consensus sur la scène politique québécoise. Le ministre de l’Éducation a accueilli favorablement la recommandation, et les partis d’opposition se montrent également ouverts, voire pressants, pour une mise en œuvre rapide. L’idée est de « détrôner l’écran-roi » dans les écoles, comme l’ont titré certains éditorialistes, et de redonner la priorité aux apprentissages et aux relations humaines.
Cependant, sur le terrain, les réactions sont plus nuancées. Du côté des enseignants, beaucoup saluent une mesure qui pourrait simplifier la gestion de classe et réduire une source majeure de distraction. Certains soulignent que dans les écoles où des interdictions similaires existent déjà, les élèves socialisent davantage et l’ambiance est plus calme. Néanmoins, des préoccupations subsistent quant à l’application uniforme de la règle et à la gestion des exceptions. De plus, certains enseignants utilisent ponctuellement le cellulaire comme outil pédagogique et craignent de perdre cette flexibilité.
Chez les parents, les avis divergent. Si beaucoup s’inquiètent de l’omniprésence des écrans et voient d’un bon œil une mesure visant à limiter leur usage, d’autres expriment des craintes concernant la communication avec leur enfant en cas d’urgence ou pour l’organisation quotidienne. La question de la sécurité et de la possibilité de joindre son enfant rapidement est un argument récurrent. Certains parents soulignent aussi l’importance d’apprendre aux jeunes à gérer leur utilisation des écrans plutôt que de les interdire totalement, arguant que cela fait partie de la réalité du XXIe siècle.
Quant aux principaux intéressés, les élèves, l’idée d’une interdiction totale est souvent mal accueillie. Le cellulaire est perçu comme un outil de communication essentiel avec les amis et la famille, une source de divertissement pendant les pauses, et parfois même un outil de travail scolaire. Si certains reconnaissent être distraits, beaucoup plaident pour une responsabilisation plutôt qu’une interdiction généralisée, craignant une mesure infantilisante.
Un équilibre délicat à trouver
L’interdiction potentielle des cellulaires dans les écoles québécoises marque une étape significative dans la réflexion collective sur la place des écrans dans la vie des jeunes. Si la mesure vise des objectifs louables – améliorer la concentration, favoriser les interactions sociales et protéger la santé mentale –, son application soulève des questions pratiques et philosophiques importantes. Comment assurer une mise en œuvre juste et cohérente ? Comment répondre aux besoins de communication et de sécurité sans compromettre l’objectif principal ? Comment accompagner les jeunes vers une utilisation responsable et critique des technologies, plutôt que de simplement les bannir d’un environnement spécifique ?
Le débat est loin d’être clos, et les modalités d’application, si l’interdiction est confirmée, seront cruciales. Montréal, avec sa population jeune et connectée, sera au cœur de cette transition. Il s’agira de trouver un équilibre délicat entre la nécessité de protéger les jeunes des dérives potentielles des écrans et celle de les préparer à vivre et à interagir dans un monde où le numérique est omniprésent. Le rapport final de la Commission, attendu d’ici fin mai, apportera peut-être des éclaircissements supplémentaires, mais le véritable défi se jouera dans les écoles, au quotidien, à la rentrée 2025.