Vingt ans après la dernière partie des Expos au Stade olympique, la blessure est encore vive pour les amateurs de baseball montréalais. Le nouveau documentaire Netflix « Qui a tué les Expos de Montréal ? » (Who Killed the Montreal Expos?) s’attaque à cette question douloureuse qui hante toujours la métropole québécoise. Réalisé par Jean-François Poisson, ce film enquête sur les véritables responsables de la disparition de la première franchise canadienne de la Ligue majeure de baseball.
Une enquête à la manière d’Agatha Christie
Comme dans un roman policier classique, le réalisateur Jean-François Poisson rassemble tous les suspects dans ce qui s’apparente à une véritable enquête criminelle. Les principaux accusés : Jeffrey Loria, le marchand d’art américain qui a pris les rênes de l’équipe en 1999, son beau-fils David Samson devenu vice-président exécutif, Claude Brochu qui dirigeait le consortium d’actionnaires locaux depuis 1990, et l’ancien premier ministre Lucien Bouchard qui a refusé le soutien gouvernemental pour un nouveau stade.
Le documentaire, présenté en première mondiale au Festival du nouveau cinéma le 9 octobre 2025, sera disponible sur Netflix dès le 21 octobre. Avec plus de la moitié du film en français, cette production québécoise assume pleinement son identité locale tout en visant un public international.
Un casting impressionnant de légendes du baseball
Le film réunit un éventail remarquable de témoins : des membres du Temple de la renommée comme Pedro Martínez, Vladimir Guerrero Sr. et Larry Walker, sans oublier le vénéré gérant Felipe Alou. C’est d’ailleurs un moment particulièrement bouleversant lorsqu’Alou raconte avoir appris son congédiement par un journaliste.
Le chroniqueur de La Presse Alexandre Pratt apporte également un éclairage essentiel, lui qui a couvert pendant des années le déclin de l’équipe. Parmi les figures les plus controversées, David Samson occupe une place de choix. Poisson lui donne la parole, et ses réponses ultra-agressives et confiantes ne risquent pas de lui gagner de nouveaux admirateurs à Montréal.
Trois raisons principales : économie, infrastructures et politique
Pour Jean-François Poisson, la mort des Expos ne peut être attribuée à un seul coupable. Dans une entrevue accordée au Festival du nouveau cinéma, le réalisateur identifie trois facteurs principaux qui ont également causé le départ des Nordiques de Québec : la situation économique du Québec, les infrastructures vieillissantes et le manque de volonté du gouvernement provincial.
« C’est plus qu’une histoire de baseball », explique Poisson. « C’est un choc de cultures. On dirait qu’au Québec, on ne voulait pas faire des affaires à l’américaine. » Cette perspective nuancée refuse de diaboliser uniquement Loria et Samson, reconnaissant qu’ils étaient avant tout des hommes d’affaires venus faire de l’argent, pas des philanthropes.
Une douleur collective toujours palpable
Au-delà de l’aspect financier, le documentaire capture avec justesse la souffrance collective qu’a provoquée le départ de l’équipe. On y voit des partisans en larmes lors du dernier match au Stade olympique le 29 septembre 2004. Chantal Machabée, directrice des communications du Canadien de Montréal, parle avec émotion de la difficulté de perdre les Expos. En une décennie, la province a perdu deux franchises des ligues majeures avec les Nordiques et les Expos.
Pour les Québécois, les Expos représentaient bien plus qu’une simple équipe de baseball. Pendant 35 ans, ils ont incarné une fierté culturelle et un symbole d’identité québécoise sur la scène nord-américaine. Leur disparition a laissé un vide qui persiste encore aujourd’hui.
Une production québécoise pour le monde entier
Produit par Attraction, une entreprise médiatique montréalaise qui détient un accord de premier regard avec Netflix, « Qui a tué les Expos de Montréal ? » représente le premier film d’Attraction acheté par le géant du streaming. Richard Speer, président et fondateur d’Attraction, souligne l’importance de ce projet : « C’est vraiment cool. C’est une production québécoise, avec des talents québécois, qui raconte une histoire du Québec au monde entier, soutenue par Netflix. »
Les producteurs Marie-Christine Pouliot et Richard Speer ne craignent pas que les dialogues en français constituent un obstacle, citant le succès mondial de séries comme Squid Game en coréen. Le timing de la sortie est également parfait, coïncidant avec la participation des Blue Jays de Toronto aux séries éliminatoires, notamment grâce aux performances de Vladimir Guerrero Jr., fils de l’ancien joueur vedette des Expos.
Un documentaire trop court selon certains critiques
Malgré ses qualités indéniables, le documentaire de 90 minutes a reçu quelques reproches concernant sa durée. Selon certains critiques, notamment sur Roger Ebert, Poisson n’aborde pas suffisamment comment les Expos ont abouti au Stade olympique ni les 22 matchs joués à Porto Rico en 2002. Le film se concentre surtout sur l’aspect commercial et aurait pu explorer davantage le système de développement de joueurs des Expos, qui a produit des légendes comme Andre Dawson, Gary Carter, Tim Raines et Randy Johnson.
Néanmoins, le documentaire remplit sa mission principale : identifier les responsables et documenter cette tragédie sportive qui continue de hanter Montréal deux décennies plus tard.
