L’installation récente du Réseau Express Vélo (REV) sur la rue Jean-Talon à Montréal, symbole des ambitions croissantes en faveur de la mobilité active, cache une réalité enfouie : une conduite d’eau datant de 1911 et des travaux majeurs d’infrastructure encore à venir. Si ce projet cyclable promet des déplacements plus sûrs et une meilleure connectivité, il révèle aussi les limites de la planification urbaine et soulève des débats chez les citoyens, ingénieurs et adeptes du vélo.
Un REV salué… mais incomplet
La phase inaugurale du REV Jean-Talon, ouverte à l’automne 2024 entre Boyer et la 1ère Avenue, a transformé cette artère stratégique avec une piste cyclable protégée sur 1,7 km. Cependant, seule la voie est a été réalisée, repoussant la voie ouest sur Bélanger, 300 m plus au sud et sans échéance annoncée. La Ville justifie ce découpage par des priorités de calendrier et de capacité, ayant choisi de ne pas effectuer en simultané le remplacement des branchements de plomb et la réfection de la canalisation, afin de ne pas retarder le chantier de plusieurs années.
À l’origine du débat, un aqueduc centenaire
Sous la nouvelle piste cyclable, l’aqueduc principal date de plus de 110 ans – un héritage de 1911 – tout comme une partie des égouts qui nécessitent prochainement une réhabilitation complète. Ce choix de séparer les interventions est contesté tant par le syndicat des ingénieurs municipaux que par Vélo Québec, qui dénoncent une gestion séquencée peu logique : réaliser la surface tout en repoussant les travaux souterrains obligera à rouvrir la rue dans un avenir proche, doublant les perturbations pour les riverains et les usagers.
Critiques sur la planification des travaux publics
Le syndicat des ingénieurs juge que les retards dans l’aménagement de la voie ouest auraient permis de réaliser l’infrastructure souterraine dans la foulée, limitant ainsi les travaux successifs. Jean-François Rheault, PDG de Vélo Québec, va jusqu’à estimer que cette approche « risque d’accroître le danger pour les cyclistes » avec les détours imposés et le surcroît de circulation sur l’artère. En parallèle, Montréal prévoit d’étendre le REV Jean-Talon sur 15 km, reliant à terme Namur-Hippodrome, mais sans calendrier clair pour les tronçons à venir.
Les enjeux de sécurité et d’accessibilité
Le contrat de 37,1 M$ octroyé à Pavages Métropolitain comprend également la reconstruction de quais de bus sur Berri, jugés non adaptatifs aux personnes à mobilité réduite. La répartition de la largeur de la rue Jean-Talon, plus étroite que sur St-Denis, n’a pas permis d’implanter la piste cyclable dans les deux sens tout en maintenant le passage des véhicules d’urgence et l’accès à l’hôpital Jean-Talon.
Pistes cyclables et mobilité urbaine, un chantier permanent?
Ce cas illustre les défis permanents de coordination et de vision à long terme dans la transformation urbaine à Montréal. La nécessité de concilier développement durable, sécurité, accessibilité et infrastructure vieillissante s’impose à chaque intervention sur la voirie. Avec le retour inévitable des pelleteuses sur Jean-Talon, la ville et ses citoyens doivent s’attendre à un chantier cyclique. Reste à espérer que les expériences comme celles du REV Jean-Talon nourriront une approche plus globale et cohérente à l’avenir.
