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dimanche, juillet 20, 2025

Enquête : SAAQclic, autopsie d’un fiasco numérique à 1 milliard

Enquêtes & ReportagesEnquête : SAAQclic, autopsie d'un fiasco numérique à 1 milliard

Le miroir brisé de la modernité

Février 2023. Ce devait être l’aube d’une nouvelle ère pour les services automobiles au Québec, la promesse d’une administration simplifiée, accessible du bout des doigts grâce à la plateforme SAAQclic. Mais le rêve numérique s’est rapidement transformé en cauchemar collectif. Files d’attente interminables devant les succursales, systèmes informatiques défaillants, coûts qui explosent et confiance ébranlée : le lancement de SAAQclic est devenu synonyme d’un fiasco retentissant, soulevant une question fondamentale : comment un projet censé moderniser l’État a-t-il pu déraper à ce point ? Montréal Minute a mené l’enquête sur les ratés d’une transformation numérique qui coûte désormais plus d’un milliard de dollars aux contribuables québécois et fait l’objet d’une enquête publique.

Le grand dérapage : Des coûts doublés et des ratés cachés

Le projet initial, baptisé Carrefour des services d’affaires (CASA), visait à refondre l’infrastructure technologique vieillissante de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Le budget initialement annoncé était de 638 millions de dollars. Cependant, les révélations successives, notamment celles du rapport accablant de la Vérificatrice générale du Québec (VGQ), Guylaine Leclerc, déposé en février 2025, ont mis en lumière une réalité bien plus sombre. Les coûts réels du projet ont explosé, atteignant au minimum 1,1 milliard de dollars d’ici son déploiement complet prévu en 2027, soit un dépassement de près de 500 millions de dollars.

Comment expliquer une telle flambée ? Le rapport de la VGQ pointe des manquements graves dans la gestion du projet. Des informations cruciales sur les dépassements de coûts, les problèmes techniques et les retards auraient été volontairement minimisées, voire cachées, aux instances décisionnelles, y compris au conseil d’administration de la SAAQ et aux élus. Le vérificateur général par intérim, Alain Fortin, a maintenu devant la commission d’enquête que la dissimulation des coûts réels s’est notamment opérée en retirant les coûts d’exploitation du calcul du budget global, alors qu’ils étaient initialement inclus. Une manœuvre comptable qui a permis de présenter une facture moins salée, mais totalement irréaliste.

Février 2023 : Chronique d’un lancement catastrophique

Le lancement de SAAQclic, le 20 février 2023, a été le catalyseur qui a exposé au grand jour les failles béantes du projet. Les citoyens se sont heurtés à une plateforme truffée de bogues, à des services inaccessibles et à des délais de traitement démesurés. Les centres de services, fermés pendant deux semaines pour l’implantation du nouveau système, ont été pris d’assaut dès leur réouverture, générant des files d’attente monstres et une exaspération palpable. Prise de rendez-vous impossible, transactions bloquées, informations erronées : les témoignages d’usagers désemparés se sont multipliés.

Le rapport de la VGQ a confirmé que le système avait été mis en service alors qu’il n’était pas prêt. Des tests cruciaux n’avaient pas été complétés et 129 anomalies connues avaient été reportées, nécessitant des corrections urgentes dans les mois suivant le lancement chaotique. Cette précipitation a eu des conséquences directes sur la qualité du service et la confiance des Québécois envers les services publics numérisés.

La quête de vérité : La Commission Gallant entre en scène

Face à l’ampleur du scandale et à la pression publique et politique, le gouvernement de François Legault a annoncé début mars 2025 la création d’une commission d’enquête publique et indépendante, présidée par le commissaire Denis Gallant. L’objectif : faire toute la lumière sur les raisons de cet échec monumental. « On doit comprendre pourquoi et comment c’est arrivé pour ne pas répéter les mêmes erreurs dans l’avenir », déclarait alors le premier ministre.

La commission Gallant, dont les audiences ont débuté fin avril 2025, s’appuie largement sur le rapport de la VGQ et entend les différents acteurs impliqués : dirigeants de la SAAQ, fonctionnaires, responsables politiques et experts. Les premiers jours d’audience ont confirmé la controverse autour des coûts d’exploitation et de la dissimulation d’informations. L’ex-ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, a d’ailleurs remis sa démission quelques jours avant l’annonce de l’enquête, soupçonné d’avoir été informé des problèmes bien avant leur révélation publique.

Les travaux de la commission visent non seulement à établir les responsabilités dans le fiasco SAAQclic, mais aussi, espèrent plusieurs observateurs et partis d’opposition, à tirer des leçons plus larges sur la capacité de l’État québécois à mener à bien sa transformation numérique, un enjeu crucial doté d’un budget global de plusieurs milliards de dollars.

Au-delà de SAAQclic, l’avenir numérique du Québec en jeu

Le fiasco SAAQclic est bien plus qu’un simple dérapage informatique. C’est le symptôme d’une gestion de projet défaillante, d’un manque de transparence et potentiellement d’une culture organisationnelle où les mauvaises nouvelles peinent à remonter. Les conséquences sont lourdes : un coût exorbitant pour les contribuables, une perte de confiance des citoyens et un coup de frein aux ambitions numériques du Québec.

L’enquête publique de la commission Gallant est une étape essentielle pour comprendre les erreurs commises et identifier les responsables. Mais au-delà des sanctions individuelles, c’est toute l’approche de la transformation numérique de l’État qui doit être repensée. Transparence, reddition de comptes, planification rigoureuse et tests exhaustifs devront être les maîtres-mots pour éviter qu’un tel échec ne se reproduise. L’avenir des services publics québécois, et la confiance des citoyens qui en dépendent, est à ce prix.

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