La province, traditionnellement reconnue pour ses vastes réserves en eau douce, traverse une crise hydrique majeure cet automne. Des municipalités contraintes d’importer de l’eau par camions-citernes, des agriculteurs aux puits asséchés et des entreprises de forage débordées : les conséquences de la sécheresse exceptionnelle de 2025 se font sentir partout au Québec.
Une situation critique qui touche tout le territoire
Depuis le début de l’été, plusieurs régions québécoises ont reçu entre 30 et 50 % moins de précipitations que la normale, selon Environnement Canada. La Gaspésie, l’Estrie et le grand Montréal figurent parmi les zones les plus affectées. À titre d’exemple, la métropole n’a reçu que 33 mm de pluie en septembre, alors que les moyennes saisonnières avoisinent habituellement les 90 mm.
« C’est un gros signal d’alerte pour les Québécois », souligne Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours. Si l’eau a toujours été synonyme d’abondance dans la province, la situation actuelle force une prise de conscience collective.
Les municipalités en mode urgence
Plusieurs municipalités québécoises se retrouvent dans une situation précaire. Saint-Ferdinand, dans le Centre-du-Québec, doit faire livrer quotidiennement quatre camions de 32 000 litres d’eau depuis Victoriaville et Thetford Mines pour alimenter ses quelque 1 000 résidents. Un service qui coûte 900 $ par livraison.
« Nos puits situés à environ 5 km de notre réservoir ne fournissent plus suffisamment », explique le maire Yves Charlebois, qui précise que cette situation ne s’était pas produite avant 2021.
En Montérégie, la municipalité de Saint-Alexandre fait face aux mêmes défis. Le maire Yves Barrette doit également recourir aux camions-citernes pour éviter que les pompes de ses trois puits municipaux ne soient endommagées par des niveaux d’eau trop bas.
La municipalité a d’ailleurs fait adopter une résolution lors du récent congrès de la Fédération québécoise des municipalités, appelant Québec à mettre en place des mesures d’urgence et à prévoir « les scénarios les plus pessimistes » concernant les précipitations futures.
L’agriculture durement touchée
Les producteurs agricoles sont parmi les premiers à subir les conséquences de cette sécheresse historique. Les agriculteurs peinent à irriguer leurs champs et à abreuver leur bétail, tandis que les puits s’assèchent à un rythme alarmant.
Certains éleveurs en sont réduits à des mesures exceptionnelles, se lavant chez leurs voisins pour économiser l’eau destinée à leurs animaux. D’autres doivent faire livrer régulièrement des camions-citernes, une solution coûteuse et peu durable.
Les entreprises de forage submergées de demandes
L’explosion des besoins en eau a créé une demande sans précédent pour les services de forage. Alexandre Samson, propriétaire de l’entreprise Samson & Frères et président de l’Association des entrepreneurs en forage du Québec, confirme que son secteur est complètement débordé.
« On a certains clients qui ont encore un peu d’eau. Ils sont capables de diminuer leur consommation, d’acheter des cruches d’eau ou encore de s’alimenter chez un voisin. D’autres font remplir leurs puits plusieurs fois par semaine par des camions-citernes en attendant qu’on puisse agrandir leurs réserves », explique-t-il.
Les entreprises de transport d’eau potable constatent également une hausse importante des demandes. Béton Laurier, qui offre ce service avec sa flotte de camions-citernes, a même dû parcourir 65 kilomètres jusqu’à Lévis pendant deux semaines pour s’approvisionner, après que la municipalité de Saint-Flavien ait fermé son accès à l’eau par crainte de manquer de ressources.
« Saint-Flavien nous a bloqués. Ils n’ont plus d’eau. Les puits et les rivières sont secs », déplore Gaétan Côté, propriétaire de l’entreprise.
Des répercussions inquiétantes sur les nappes phréatiques
Au-delà des problèmes immédiats d’approvisionnement, c’est la recharge des nappes phréatiques qui préoccupe les experts. Sans précipitations significatives cet automne ou sous forme de neige cet hiver, les réserves souterraines risquent de ne pas se reconstituer.
« Il va falloir se préparer psychologiquement à payer le prix de la sécheresse », avertissent les spécialistes. Les coûts liés au transport d’eau, au forage de puits plus profonds et aux infrastructures d’approvisionnement d’urgence s’accumulent rapidement.
La situation est d’autant plus préoccupante que le niveau de certains cours d’eau majeurs, comme la rivière Richelieu qui alimente en eau potable près de 300 000 personnes, atteint des niveaux historiquement bas. Les autorités craignent que les prises d’eau ne se retrouvent à l’air libre si la situation persiste.
Un avant-goût des changements climatiques
Selon les climatologues, des sécheresses plus fréquentes et plus intenses sont à prévoir au Québec dans les années à venir en raison des changements climatiques. La crise actuelle pourrait donc n’être qu’un aperçu de ce qui attend la province.
Les météorologues comme Serge Besner, qui observe depuis 20 ans son lac de pêche en Outaouais, n’ont jamais vu un tel déficit hydrique. « C’est très sec », confirme-t-il simplement.
Un appel à l’action collective
Face à cette situation exceptionnelle, les autorités municipales appellent le gouvernement du Québec à agir rapidement. Les demandes portent sur la mise en place de mesures de soutien financier pour les communautés affectées, le développement de stratégies d’adaptation à long terme et la création de programmes d’urgence pour l’approvisionnement en eau.
Pour les citoyens, la crise actuelle rappelle l’importance d’une gestion responsable de cette ressource précieuse. Les restrictions d’eau, déjà en vigueur dans plusieurs municipalités, pourraient devenir la nouvelle norme.
Cette sécheresse historique marque un tournant dans la perception de l’eau au Québec. Longtemps considérée comme une ressource inépuisable, l’or bleu révèle aujourd’hui sa vulnérabilité face aux bouleversements climatiques, forçant la province à repenser sa relation avec cet élément vital.
